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Orphée aux Enfers – Jean-Guillaume Moitte – Louvre – 1780

ORPHISME

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Suivant la tradition la plus répandue, Orphée avait emprunté à l’Egypte tout l’essentiel de sa doctrine, les règlements de ses mystères, les prescriptions de son rituel funéraire.

C’est encore l’opinion qui prévaut chez les savants modernes ; et l’on ne peut nier qu’elle soit fondée en grande partie. On constate de singulières coïncidences entre la cosmogonie des Orphiques et celle des Egyptiens, entre le mythe de Dionysos Zagreus et le mythe d’Osiris, entre les prescriptions ou les rites de l’Orphisme et ceux des cultes égyptiens.

La théorie de la migration des âmes, qui tenait tant de place dans les enseignements des Orphiques, était, suivant Hérodote originaire de la vallée du Nil ; et le rituel funéraire des confréries orphiques, tel que nous le connaissons par les auteurs ou les inscriptions, présente beaucoup d’analogies avec le Livre des morts.

Il parait donc incontestable que l’Egypte, directement ou indirectement, a fourni bien des éléments à la doctrine des Orphiques.

Zeus et Rhéa, unis sous la forme de serpents, avaient eu une fille, Perséphone, être monstrueux qui avait quatre yeux et des cornes. S’étant une seconde fois métamorphosé en serpent, Zeus fit violence à sa fille, et de cette union naquit Dionysos Zagreus, qui, comme sa mère, avait des cornes ; Nonnos l’appelle keroen brephos, le petit cornu.

Craignant pour lui les pièges de Hèra, Zeus lui donna comme gardiens les Curètes qui l’avaient gardé lui-même dans son enfance ; néanmoins le jeune dieu fut surpris par les Titans envoyés par Hèra, qui l’amusèrent en lui présentant des jouets. Il chercha à leur échapper, en se transformant successivement en lion, en tigre, en cheval, en serpent, en taureau ; mais il fut tué par eux, et ses meurtriers, après l’avoir dépecé, en dévorèrent les morceaux.

Zeus ordonna à Apollon de recueillir et d’ensevelir ses membres ; le dieu de Delphes les ensevelit à côté du trépied. Quant au coeur, resté intact, Pallas l’emporta et le remit à Zeus qui, après l’avoir absorbé, donna naissance à un second Dionysos, destiné à partager désormais la gloire et la souveraineté de son père.

D’après une variante de la légende, Sémélè aurait avalé le coeur de Zagreus, et aurait enfanté ainsi le second Dionysos, le Dionysos thébain. Les Titans furent précipités dans le Tartare, réduits en cendres, et de leurs cendres naquit le genre humain.

(La destinée de l’homme est semblable à celle de Zagreus, comme lui ses passions (titans) l’attirent avec des jouets pour le dépecer jusqu’à ce qu’il ne reste plus que son cœur, seuil où à l’image de la pesée égyptienne s’ensuit une réintégration par le divin pour renaitre tel Dionysos.

Tel est le mythe que l’orphisme, né du culte de Dionysos, s’appropria, lorsque cette secte se constitua autour des mystères et des légendes du dieu.

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Dubois Louis-Jacques (1768-1848)

Or, parmi les différentes légendes relatives à Dionysos, celle de Zagreus était celle qui répondait le mieux aux idées essentielles des Orphiques, et c’est pourquoi ils l’adoptèrent, en y rattachant, par une interprétation symbolique et philosophique, toute une doctrine morale.

Dionysos fut pour eux l’expression du principe vital ; «il réunit en lui la source éthérée de vie qui lui a été transmise par Zeus son père et la source infernale qui lui vient de sa mère Perséphone».

Il règne souverainement sur les Enfers et il est même parfois conçu comme un fils de Hadès, ou comme un autre Hadès. Mais il partage aussi le trône céleste de Zeus. Il est le dieu premier-né ; avant sa mort comme après sa résurrection, il est associé au pouvoir souverain de son père ; il est le monarque universel, le maître de tous les immortels.

Il est l’âme du monde et en assure la perpétuité. Sa lutte contre les Titans, sa mort, sa résurrection expriment les vicissitudes de la vie dans la nature, dans le monde physique et moral.

Car il est aussi le principe du bien, tandis que les Titans représentent l’énergie destructrice du mal.

C’est pourquoi l’homme, né des cendres des Titans qui s’étaient nourris de Dionysos, est un composé du bien et du mal.

Il doit expier la peine du crime de ses ancêtres déicides, s’affranchir de ce péché, dégager en lui les bons éléments en se consacrant à Dionysos.

Tel est le but de l’initiation orphique.

Orphisme et mythologie

La tradition orphico-pythagoricienne, dès la fin du ve siècle av. J.-C., a laissé des « Lamelles d’or » où se montrent l’espérance d’être délivré grâce à l’initiation, la nécessité pour l’âme de subir un examen à l’arrivée dans l’au-delà, la primauté de la déesse Mnémosyne (qui rappelle l’origine céleste de l’âme et donne le souvenir des existences antérieures), le besoin de se libérer de la soif de vivre corporellement, la distinction entre deux sources dans l’au-delà (la source de Mnémosyne, qui donne le souvenir aux initiés, à droite ; la source de Léthé, qui donne l’oubli aux non-initiés, à gauche). Les lamelles évoquent le voyage et l’épreuve de l’âme post mortem.

« Tu trouveras à gauche de la demeure d’Hadès [l’Invisible, dieu des morts] une source [Léthé : Oubli], et près d’elle, se dressant, un cyprès blanc : de cette source ne t’approche surtout pas.

Tu trouveras une seconde source, l’eau froide qui coule du lac de Mnémosyne [Mémoire] ; devant elle se tiennent des gardes.

Dis : « Je suis fils de la Terre et du Ciel étoilé ; ma race est céleste, et cela vous le savez aussi… »

Et, de ce moment, avec les autres héros, tu seras souveraine. »

La philosophie orphique a entrepris de répondre aux deux grandes questions qui tourmentèrent l’esprit grec depuis le VIe siècle : explication du monde et destinée de l’homme. Les Orphiques ont donc eu, d’une part, un système cosmogonique et théologique, d’autre part, une doctrine métaphysique sur l’âme. Le système cosmogonique était exposé dans les poèmes qu’on appelait des Théogonies. Comme il évoluait de siècle en siècle, les Orphiques écrivirent successivement plusieurs Théogonies, dont nous possédons des fragments. La plus ancienne, connue sous le nom de Theogonia antiquissima, datait au moins du VIe siècle avant notre ère. D’après les fragments que lui attribue le dernier éditeur, elle aurait eu bien des rapports avec le système d’Hésiode.

En voici le contenu. Au commencement régnait Nyx ou la Nuit.

De Nyx naquirent Ouranos et Gaea ; d’Ouranos et de Gaea, Okeanos et Téthys ; d’Okeanos et de Téthys, les Titans, Kronos et Rhéa ; de Kronos et de Rhéa, Zeus et quelques dieux ; puis les autres dieux et les héros.

Cette doctrine paraît bien sommaire, et bien peu orphique. Nous ne doutons pas que la Theogonia antiquissima ait renfermé autre chose, notamment les mythes d’Eros et de l’oeuf cosmique, peut-être aussi la légende de Zagreus, mise à la mode par Onomacrite. Apollonios de Rhodes nous a conservé le résumé, d’ailleurs fort incomplet, d’une autre Théogonie.

Orphée, dans le poème, chante les origines du monde.

La terre, la mer et le ciel étaient confondus. La Discorde intervint, et ils se séparèrent. Le soleil, la lune, les étoiles, se fixèrent dans le ciel ; la terre prit sa forme. Le monde fut gouverné par Ophion et Eurynome, qui furent ensuite précipités dans l’Océan par Kronos et Rhéa, détrônés à leur tour par Zeus.

Dans cette cosmogonie apparaissent deux traits nouveaux : le rôle de la Discorde (Neikos), souvenir d’Empédocle ; le mythe d’Ophion et d’Eurynome, dont on ignore la provenance.

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Beaucoup plus caractéristique est la Théogonie dite d’Hellaniens et de Hieronymos, composée sans doute par deux Grecs de Phénicie vers la fin du IIe siècle avant notre ère.

En voici l’analyse, d’après les fragments qu’on y rapporte.

A l’origine, rien que de l’eau et du limon. De cette boue cosmique naît un dragon ailé à trois têtes, tête humaine, tête de lion, tête de taureau : c’est le Temps toujours jeune (Xronos agêraos), appelé aussi Héraklès. Le Temps s’unit à la Nécessité (Adrasteia ou Anagkê).

De leur union sort l’oeuf cosmique, un oeuf gigantesque, qui bientôt se sépare en deux parties : la portion supérieure devient le ciel ; la portion inférieure forme la terre.

De l’oeuf naît aussi un dieu à ailes d’or, dont la tête humaine est surmontée d’un dragon, et dont les flancs portent des têtes de taureau. Ce dieu est Protogonos ou Phanès, identifié avec Zeus ou Pan. C’est le créateur ou plutôt l’ordonnateur du monde.

De leur union sort l’oeuf cosmique, un oeuf gigantesque, qui bientôt se sépare en deux parties : la portion supérieure devient le ciel ; la portion inférieure forme la terre.

Cette cosmogonie était assurément très complexe. Des conceptions toutes asiatiques, les monstres familiers des mythologies orientales, s’y mêlaient à des conceptions orphiques de divers âges, l’oeuf cosmique, les mythes de Phanès et de Protogonos.

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La plus populaire et la plus complète des Théogonies orphiques était la Théogonie dite des Rhapsodes ou contenue dans les Rhapsodies : c’est aussi celle que nous connaissons le mieux, celle dont nous possédons ou à laquelle on attribue le plus grand nombre de fragments.

Les savants modernes sont loin de s’entendre sur la date de cet ouvrage : les conclusions proposées vont du VIe siècle av. J.-C. au IIe siècle de notre ère. La divergence de ces conclusions vient sans doute d’un malentendu. Les fragments de la Théogonie des Rhapsodes nous ont été conservés surtout par les néo-platoniciens et les chrétiens, qui croyaient y trouver la vraie doctrine d’Orphée.

La rédaction définitive de cet ouvrage paraît être d’époque assez basse. Mais les éléments essentiels du système peuvent être fort anciens, et remonter en partie jusqu’au vie siècle. Voici l’analyse sommaire de la Théogonie des Rhapsodes, d’après les fragments recueillis par le dernier éditeur.

A l’origine était Chronos ou le Temps. Il produisit l’Ether et le Chaos, dont l’union eut pour résultat l’apparition de l’oeuf cosmique, un oeuf énorme en argent.

De l’oeuf sortit un dieu, qui avait de nombreuses têtes d’animaux : à la fois mâle et femelle, il contenait le germe de tout.

Ce dieu était Phanès ; mais on lui donne aussi d’autres noms : Protogonos, Ericapaeos, Métis, Eros. Quand le dieu fut né, la partie supérieure de l’oeuf cosmique devint le ciel ; la partie inférieure devint la terre. Phanès régna sur l’univers.

Il était le soleil du monde intelligible ; il créa le soleil du monde naturel, puis la lune. Il eut deux enfants : Nyx ou la Nuit, et le monstre Echidna. Nyx enfanta Ouranos et Gaea, dont naquirent les Titans, les Cyclopes, et autres êtres monstrueux. Un des Titans, Kronos, détrôna Ouranos, puis, à son tour, fut détrôné par son fils.

Pour assurer son pouvoir, Zeus imagina de dévorer ou d’avaler Phanès, resté le grand dieu du monde intelligible. Il devint ainsi la divinité suprême et universelle ; sa volonté n’eut plus de limites que dans les arrêts de Diké ou de la Justice.

Dans le reste de leur cosmogonie, les Orphiques suivaient le système d’Hésiode, en y mêlant quelques légendes nouvelles comme le mythe de Dionysos Zagreus, et en rapprochant, les uns des autres les principaux dieux jusqu’à les identifier entre eux et avec Zeus-Phanès, le dieu souverain.

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Mnémosyne :

Dans la mythologie grecque, entre autres d’après Hésiode, Mnémosyne est une Titanide, fille d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre) qui est la déesse de la Mémoire. Mais Hygin, la rajeunissant de deux générations, voit plutôt en elle une fille de Zeus et de la Néréide Clymène.

Elle aurait inventé les mots et le langage. Elle a donné un nom à chaque chose, ce qui rendit possible le fait de s’exprimer.

Aimée de Zeus, de qui elle conçut les neuf Muses (assimilées parfois aux Piérides), elle est représentée par une femme qui soutient son menton, attitude de la méditation.

Quelques Anciens l’ont peinte sous les traits d’une femme d’âge presque mûr ; elle a une coiffure enrichie de perles et de pierreries, et se tient le bout de l’oreille avec les deux premiers doigts de la main droite. Or il était d’usage à l’époque antique de figurer les dieux sous les traits d’adolescents, âge de la plénitude selon les Anciens, donc représentant le mieux la perfection divine.

Grabriele Dante Rossetti, Mnémosyne

RÉMINISCENCE

Le mythe de Persephone (Proserpine) est semblable à ceux d’Isthar et de l’homme vert, ces trois versions ont en commun d’évoquer le retour du printemps dans le cycle des saisons.

Ceci est en rapport direct avec le retour de la mémoire. (voir l’homme vert dans PERCEVAL)

SOCRATE – Ce langage, ce sont des prêtres et des prêtresses qui s’attachent à rendre raison des choses auxquelles ils se consacrent, qui le tiennent.

C’est aussi Pindare qui parle ainsi, comme beaucoup d’autres poètes, tous ceux qui sont divins.

Ce qu’ils disent, c’est ceci. Voyons, examine s’ils te semblent dire la vérité.

Ils déclarent en effet que l’âme de l’homme est immortelle, et que tantôt elle arrive à un terme- c’est justement ce qu’on appelle «mourir» -, tantôt elle naît à nouveau, mais qu’elle n’est jamais détruite. C’est précisément la raison pour laquelle il faut passer sa vie de façon la plus pieuse possible.

«En effet, les êtres dont Perséphone a accepté compensation d’un ancien mal, vers le soleil d’en haut, à la neuvième année, elle envoie de nouveau leurs âmes, et de ces âmes, croisent de nobles rois, des hommes impétueux par la force ou très grands par le savoir. Pour tout le temps futur, ils sont honorés par les hommes, comme des héros sans tache.»

Or comme l’âme est immortelle et qu’elle renaît plusieurs fois, qu’elle a vu à la fois les choses d’ici et celles de l’Hadès, c’est à dire toute les réalités, il n’y a rien qu’elle n’ait appris.

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MIGNARD, Enlèvement de Proserpine

Vien, Enlèvement de Proserpine

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En sorte qu’il n’est pas étonnant qu’elle soit capable, à propos de la vertu comme à propos d’autres choses, de se remémorer ces choses dont elle avait justement, du moins dans un temps antérieur, la connaissance.

En effet, toutes les parties de la nature étant apparentées, et l’âme ayant tout appris, rien n’empêche donc qu’en se remémorant une seule chose, ce que les hommes appellent précisément «apprendre», on ne redécouvre toutes les autres, à condition d’être courageux et de chercher sans craindre la fatigue. Ainsi, le fait de chercher et le fait d’apprendre sont, au total, une réminiscence. (…)

MÉNON – Oui, Socrate, mais que veux-tu dire en affirmant que nous n’apprenons pas, mais que ce que nous appelons « apprendre » est une « réminiscence » ? Peux-tu m’enseigner que c’est bien le cas ? (…)

SOCRATE – Mais ce n’est pas facile !

Pourtant je veux bien y consacrer tout mon zèle pour te faire plaisir. Eh bien, appelle-moi quelqu’un de cette nombreuse compagnie qui t’escorte, celui que tu veux, pour que je puisse te faire une démonstration sur lui.

MÉNON (s’adressant au jeune garçon) – Oui. Parfait. – Toi, viens ici.

SOCRATE – Est-il grec ? Parle-t-il le grec ?

MÉNON – Oui, bien sûr, tout à fait, il est né dans ma maison.

SOCRATE – Alors prête bien attention à ce qu’il te paraît faire : s’il se remémore ou s’il apprend de moi.

MÉNON – Mais oui, je ferai attention !

SOCRATE – Dis moi donc, mon garçon, sais-tu que ceci, c’est une surface carré ?

LE JEUNE GARCON – Oui, je le sais.

SOCRATE – Et que, dans une surface carrée, ces côtés-ci, au nombre de quatre, sont égaux ?

LE JEUNE GARCON – Oui, tout à fait. (…)

La suite du dialogue conduit le jeune garçon à se remémorer que le carré gris est deux fois plus petit que le noir.  Extrait de : Ménon 80a- 87d. Ed. Flammarion, Platon

ORPHISME ET
MOYEN ÂGE

Pendant l’Antiquité, Orphée est la représentation du musicien parfait. Avec sa lyre reçue d’Apollon, elle-même provenant de Hermès, il est tour à tour Orphée enchanteur, Orphée solitaire, celui qui par sa musique charme les guerriers, les animaux mais aussi les éléments végétaux. Outre ces thèmes extrêmement populaires, une des représentations caractéristiques de la Grèce antique est aussi celle d’un Orphée apaisant les barbares.

Au début du Moyen Âge, on assiste à une reprise chrétienne du mythe d’Orphée où il est davantage assimilé à Jésus-Christ, lequel aussi descend aux Enfers après sa crucifixion.

Assimilation aussi au berger David chantant des psaumes qui, par extension, amène à refléter un Jésus réconciliant les générations et les coeurs.

C’est donc un Orphée paien qui se dessine ici. D’une part, Orphée est un pré-Messie et de l’autre, Jésus-Christ est un nouvel Orphée arrivant à réconcilier par sa parole les hommes entravés par l’ignorance. La musique obtient un rôle civilisateur, à l’égal de la parole chrétienne. Enfin, le bas Moyen Âge est traversé par l’Ovide Moralisé où Orphée est assimilé à David, ainsi que par les écrits de Pierre Bersuire (c.1290-1362) où Orphée est comparé à Dieu.

Bruegel l’Ancien – Orphée aux enfers, 1594

Alessandro Varotari, Padua 1588-1649 Venice

Alessandro Varotari, Padua 1588-1649 Venice