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Trismégiste

TRISMÉGISTE

Crépuscule

Frôlée par les ombres des morts

Sur l’herbe où le jour s’exténue

L’arlequine s’est mise nue

Et dans l’étang mire son corps

 

Un charlatan crépusculaire

Vante les tours que l’on va faire

Le ciel sans teinte est constellé

D’astres pâles comme du lait

 

Sur les trétaux l’arlequin blême

Salue d’abord les spectateurs

Nicolas Bonnart, Recueil des modes de la cour de France (vers 1680)

Des sorciers venus de Bohême

Quelques fées et les enchanteurs

 

Ayant décroché une étoile

Il la manie à bras tendu

Tandis que des pieds un pendu

Sonne en mesure les cymbales

 

L’aveugle berce un bel enfant

La biche passe avec ses faons

Le nain regarde d’un air triste

Grandir l’arlequin trismégiste.

Guillaume Apollinaire

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NAISSANCE DE «CREPUSCULE» OU LES TOURS DE MERCURE
par Françoise DININMAN

Arlequin Trismégiste

«Crépuscule» en tout cas, évoque bien un conte de fées; toute la scène se déroule dans une atmosphère de merveilleux médiéval (dame à l’étang, fées, enchanteurs), sans indication de temps ou de lieu; c’est l’éternel présent d’Avalon, implicitement situé dans une forêt (la préoriginale du Dossier d’Alcools débute par «Ayant la forêt pour décor»), «créatrice de prestiges et de vies sans cesse renouvelés» (OEC IV, 466). Le poème se développe suivant un axe verticale zénith-nadir où coexistent les schèmes de l’élévation (ciel – bras tendu – étoile -grandir) et les schèmes de la descente (étang – pendu – nain).

Arlequin Trismégiste

Une certaine circularité est aussi suggérée par les cymbales, par les tours, qui sont des pirouettes, mais aussi les tours -rondes ou carrées- que l’on élève, comme le poète lui-même dans «Cortège». Les «tréteaux» suggèrent plutôt le carré ou le rectangle, mais c’est peut-être aussi la piste du cirque, le «théâtre en rond» cher à Apollinaire (OEPo, 881). Mais le rond aussi bien que le carré sont temenos, enceinte sacrée, marquant bien cette sacralité de l’espace théâtral analysée par J. Burgos dans la communication déjà citée. Pour Starobinski, «les tréteaux dans l’article de 1905 sur Picasso sont transformés en un lieu de culte. Mais au paysage chrétien de Rouault succède une scène ésotérique, ou, selon un syncrétisme d’allure alexandrine, se mêlent les mystères de plusieurs traditions religieuses: fécondités miraculeuses, hermaphrodites, silence sacramental, nativités […]. L’interprétation du poète […] transforme le spectacle des tréteaux en une cérémonie gnostique. Le jeu n’est pas gratuit, il est rite, dévoilement d’une sagesse secrète [. . .]

Trismégiste, Arlequin, Comédia del Arte, Théâtre et Magie cérémonielle, du port de la baguette ou batoccio, du port de l'habit bariolé

Pablo Picasso, 1905

Nous sommes sur un seuil initiatiques les saltimbanques connaissent le mot de passe qui conduit vers le monde surhumain de la divinité, et vers le monde infra-humain de la vie animale.» […]

«Nous pressentons que le pouvoir surnaturel de croissance de l’arlequin dans «Crépuscule»  lui vient de sa familiarité avec le règne de la mort.

Cette interprétation me semble éclairer lumineusement aussi bien «Crépuscule» que l’article de 1905. Mais est-ce seulement «l’interprétation du poète» qui fait des saltimbanques des Initiés?

Pablo Picasso, 1905

L’épithète de trismégiste qui lui est accolée lui confère une identité allusive avec Hermès, le dieu qui franchit les portes de l’autre monde et qui conduit les âmes dans les royaumes souterrains.

C’est aussi le dieu des secrets alchimiques, que la gnose a apparenté au Thot à face simiesque des Egyptiens. Décrochant une étoile, rapprochant ciel et terre, Arlequin réunit surnaturellement ce qui est naturellement séparé.

Un retour magique à l’unité cosmique nous est annoncé…».

Pablo Picasso, 1905

DU PORT DE LA BAGUETTE

Trismégiste

TEXTE

« Apollon remit à Mercure une baguette. À peine en Arcadie, ce dernier vit deux serpents qui se dévoraient l’un l’autre. Il les sépara de sa baguette, et ils ne furent plus qu’un. Et c’est pourquoi la baguette (…) est depuis un symbole de paix… »

G.A. BÖCKLER, Ars Heraldica, Nuremberg, 1688 ; Graz, 1971)

 

« Ce diagramme représente l’Arbre de Vie, le Cosmos sous la forme du Bâton, ou force créatrice de Mercure, c’est à dire l’énergie équilibrée créatrice de l’illusion de l’existence. On peut remarquer que sa forme symbolique montre les trois lettres mères de l’alphabet hébreu, Shin, Aleph et Mem en ses trois parties. Ce symbole est important parce qu’il est d’abord le Livre de Thoth, ou de Tahuti, le Mercure égyptien. Pour comprendre ce livre, il faut savoir transformer instinctivement, et automatiquement, un symbole simple en un symbole complexe et un symbole complexe en un symbole simple.

C’est la seule manière possible de prendre conscience de l’unité et de la diversité qui apportent une solution au problème cosmique.»

Le Livre de Thot. Aleister Crowley, p. 250

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Je me suis laissé entraîner à vous parler intimement, la voie où je vais est périlleuse, elle est bordée de chaque côté par des précipices… et une fois en route, il est plus dangereux de retourner en arrière que de marcher toujours en avant… Tirer tout son art d’un regard d’une vieille rosse de saltimbanque, c’est d’un  » orgueil fou  » ou d’une  » humilité parfaite  » si l’ » on est fait pour faire cela « .

Georges ROUAULT, recueilli dans Les créateurs et le sacré, par Camille Bourniquel et Jean Guichard-Meili, Cerf, 1956.

Trismégiste, Arlequin, Comédia del Arte, Théâtre et Magie cérémonielle, du port de la baguette ou batoccio, du port de l'habit bariolé

Bateleur du Tarot Rider

«Afin que tous sachent qu’il était sous la protection du dieu, il portait la propre livrée de Mercure, que les clowns avaient faite pour lui. Ainsi, Arlequin acquit sa tunique multicolore, symbole de l’instabilité de tempérament et de l’habileté douteuse des protégés de Mercure ; et il porta un bâton comme Mercure portait le caducée.»

Thelma Niklaus, citée par Richard Stamelman.

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Pablo Picasso, Arlequin au bâton, 1917, FIAC 87

Ce bâton est le «batoccio», instrument de défense et d’attaque, mais aussi véritable baguette de prestidigitateur et d’illusionniste, baguette magique à l’instar de celle des fées.

Arlequin est «né acrobate et sauteur», il est d’une extrême agilité corporelle et mentale. Il est le maître de la technique dite «du dos», qui consiste en la capacité de se raccourcir et de se rallonger «à volonté» – d’où peut-être la phrase de Rimbaud «on les envoie prendre du dos en ville» ?

« L’étoile «autrefois liée à la douceur du lait maternel, a la fuite, au retrait temporel d’une féminité fluide ou grelottante» va être liée à une thématique solaire du flamboiement et de la transformation du poète en astre, et même «comme terme futur, au jaillissement d’un sexe masculin» (ibid., 161).

Mais le phallus de l’Hermès ithyphallique est ici symbole ascensionnel, identifié comme dans «Les Sept épées» au Verbe et à la puissance créatrice. L’identification de la plume et de l’encre avec le pénis en érection éjaculant est constante dans les rêves, les expressions ou les chansons populaires. La tout a également une signification phallique chez Apollinaire («Près des pyramides de Malpighi/ La tour d’ivoire se dresse», OEPr, 182). Mais elle est surtout, comme l’Arlequin, axis mundi, lien entre la terre et le ciel, entre le père et la mère cosmiques, entre le conscient et l’inconscient, entre le monde animal et le monde divin.

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Arlequin accomplit devant des «spectateurs pieux», des Maîtres d’initiation, le «rite muet» qui célèbre sa propre Maîtrise.

Il mène à bien la mimesis (et non la parodie) de la création du monde, du lux fiat, dans un geste prométhéen.

En décrochant l’étoile, équivalent céleste, macrocosmique de la femme, il amène sur terre non seulement l’anima, mais aussi le Verbe, le pur Logos «descendant des hauteurs où pense la lumière» (OEPo, 110).

C’est par ce geste qu’il pourra devenir lui-même étoile, «homme de lumière», Adam Kadmon gnostique égal à Dieu (c’est le symbole de Léonard de Vinci repris par «Manpower», «l’homme de pouvoir», inscrit debout, jambes et bras écartés, dans une étoile, elle-même inscrite dans un cercle).

Ce qui est au niveau macrocosmique recréation de soi-même, de l’oeuvre par le poète et du poète par l’oeuvre.

L’Adam Kadmon est la pierre philosophale, le Grand Oeuvre accompli. «Le peintre», (affirme Apollinaire dans «Sur la peinture» – mais n’est-ce pas vrai pour le poète?) -«doit avant tout se donner le spectacle de sa propre divinité et les tableaux qu’il offre à l’admiration des hommes leur conféreront la gloire d’exercer aussi et momentanément leur propre divinité» (OEC IV, 16). «Crépuscule» est ce spectacle. »

DU PORT DE L'HABIT BARIOLÉ

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L’Arlequin Trismégiste est semblable au Melchisédech de l’Alchimiste, il porte un habit de prêtrise.

Cet habit est le secret de la gnose, ce savoir est évoqué dans l’apocalypse de St jean avec le 666 ou chiffre de la bête qui est un nombre d’homme(6), mais surtout avec le 144 de la Jérusalem céleste, mesure humaine que l’ange utilisait.

«Pour moi, depuis la fin d’un beau jour où la première étoile qui brille au firmament m’a je ne sais pourquoi… étreint le cœur, j’en ai fait inconsciemment découler toute une poétique.

Cette voiture de nomades arrêtée sur la route, le vieux cheval étique qui paît l’herbe maigre, le vieux pitre assis au coin de sa roulotte en train de repriser son habit brillant et bariolé, ce contraste de choses brillantes, scintillantes, faites pour amuser et cette vie d’une tristesse infinie… si on la voit d’un peu haut… Puis j’ai amplifié tout cela.

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Pablo Picasso, Organillero y pequeno Arlequin, 1905

J’ai vu clairement que le  » Pitre  » c’était moi, c’était nous… presque nous tous…

Cet habit riche et pailleté, c’est la vie qui nous le donne, nous sommes tous des Pitres plus ou moins, nous portons tous un  » habit pailleté « , mais si l’on nous surprend comme j’ai surpris le vieux pitre oh ! Alors qui osera dire qu’il n’est pas pris jusqu’au fond des entrailles par une incommensurable pitié.

J’ai le défaut (défaut peut-être… en tous cas c’est pour moi un abîme de souffrances…),  » de ne jamais laisser à personne son habit pailleté « , fût-il roi ou empereur, l’homme que j’ai devant moi c’est son âme que je veux voir… et plus il est grand et plus on le glorifie humainement, plus je crains pour son âme…»

Georges ROUAULT, Lettre à Édouard Schuré, non datée, publiée dans Le Goéland, Paramé, juin 1952.

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DU CHAPEAU CONIQUE

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Les simples prêtres officient avec quatre vêtements de lin blanc : une tunique, un pantalon, une ceinture et un turban.

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