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L’intégralité de cet article est extraite de : « Mithra, ce dieu mystérieux », Martin Vermaseren, aux ÉDITIONS SEQUOIA.

MITHRA

En 1907 furent trouvées à Boghazköy, capitale du royaume hittite situé au N.-O. de l’Asie Mineure, des tablettes d’argile sur lesquelles apparaît pour la première fois, le nom de Mitra (ainsi orthographié). Le Dieu y est invoqué avec le dieu du ciel comme divinité protectrice d’un traité entre les « Chatti » (Hittites) et leurs voisins, les Mitanniens.

On s’accorde généralement pour situer ce traité vers le XIVe s. av. J.-C. ; or le dernier document dans lequel il est question du Mithra d’Occident date du Ve s. apr. J.-C. Que de siècles ont donc vu les hommes prononcer respectueusement le nom de ce dieu !

Le culte de Mithra n’est plus, mais le nom du dieu demeure dans les milieux scientifiques. Plusieurs disciplines scientifiques (archéologie, histoire des religions, théologie, philologie) s’intéressent à la personnalité du Dieu et cherchent à percer les mystères qui l’entourent ; car ignorer cette divinité et sa doctrine implique une méconnaissance du milieu dans lequel s’est développé le christianisme naissant.

L’étude du culte de Mithra se heurte toutefois à de grandes difficultés : en Orient nous ne disposons pratiquement que de sources écrites alors que dans l’Empire romain nous ne connaissons le culte de Mithra que par les monuments archéologiques.

Nous nous trouvons, comme l’a très justement fait remarquer le génial Franz Cumont, dans la même situation que celui qui ne disposerait, pour se livrer à l’étude du christianisme, que de l’Ancien Testament, et des cathédrales du moyen âge. Il s’ensuit que l’image que nous pouvons nous faire de Mithra est incomplète et déformée ; c’est pourquoi les découvertes qui se font encore régulièrement sont accueillies et étudiées avec intérêt. L’antique traité entre Hittites et Mianniens prouve que nos ancêtres indo-européens connaissaient déjà Mithra. Il n’est donc pas étonnant de le rencontrer tant chez les habitants de l’Inde que chez les peuplades d’Iran. Dans les écrits sacrés de l’Inde antique, les Védas, il figure à plusieurs reprises sous le nom de « Mitra » ce qui signifie « Traité ».

Dans l’Avesta, livres sacrés des Perses, il figure sous le nom de Mithra et une ode ou yasht lui est conscrée. Dans les Védas comme dans l’Avesta, son nom est associé à Varuna et Ahura-Mazda, la divinité suprême…

Les orientalistes sont d’accord pour dire que pendant la période archaïque le culte de Mithra rivalisait avec celui de la divinité céleste. Pour une bonne compréhension de la figure de Mithra on ne peut perdre de vue le dualisme fondamental de la théogonie iranienne ; un groupe de divinités est rassemblé autour d’Ahura-Mazda, le seigneur de la sagesse, régnant sur le royaume de la lumière ; à ce dieu sont opposées les forces maléfiques groupées autour d’Ahriman, le dieu des ténèbres. Les deux groupes sont en lutte constante, mais le temps viendra où les forces du Bien vaincront le Mal. Dans ce combat Mithra fait figure de « Yazata », c’est à dire d’acolyte ; il combat dans les rangs du Bien et du Droit. C’est un dieu de lumière qui de toute évidence était assimilé en Inde au Soleil. Comme L’Hélios de l’épopée homérique, il voit tout et est de ce fait le redresseur de torts et de tout ce qui porte atteinte à un juste ordre des choses.

D’une part Mithra est le dieu de l’élément lumière, et d’autre part il est au service d’Ahura-Mazda. Il est donc une émanation du dieu suprême et procède de lui. Ce dieu suprême est entouré de forces auxiliaires (Amesha Spentas) participant à son essence ; Mithra est entouré tout comme en Inde, de Divinités inférieures telles qu’Aryaman « protecteur des Ariens » et Bhaga le « sort » qui répartit les dons bénéfiques.

Ces deux divinités annexes se retrouvent sous les noms de Sraosa et Asi ; elles constituent en fait des aspects déterminés de Mithra, comme le seront beaucoup plus tard dans les mystères, cautes et Cautopates (v. p. 61).

La puissance de Mithra fut fortement réduite par la personnalité de Zoroastre. Ce prophète propagea principalement sa doctrine en Perse orientale ; les opinions sont toutefois fort partagées quant à la période où il vécut. Cette période est comprise entre 1000 et 600 av. J.-C. ; l’on admet actuellement que c’est autour des années 600 av. J.-C. que doit se situer son activité. Le malheur veut que la reconstitution du personnage ne peut se faire qu’à la lumière des « Gathas », chants sacrés attribués à lui –même et rédigés dans un dialecte iranien oriental dont la traduction s’avère extrêmement difficile. Il est en tout cas incontestable que Zoroastre fut un grand réformateur qui s’est efforcé de convertir le polythéisme en un monothéisme dont Ahura-Mazda serait la seule et suprême divinité. Pour ce faire, il se sentit obligé de faire passer la personnalité de Mithra à l’arrière-plan et de s’opposer aux conceptions liturgiques de ses contemporains ; les sacrifices sanglants, comme l’immolation de taureaux, furent interdits ainsi que l’usage de l’haoma, produit capiteux, provoquant l’extase.

Cette dernière mesure porta un coup très sévère au culte de Mithra, celui-ci était en effet lié au bovidé et le sang du taureau sacrifié, mélangé à l’haoma procurait à qui le consommait une force immortelle.

Darius et Xerxès, membres de la dynastie des Achéménides, furent-ils oui ou non des adeptes de la doctrine de Zoroastre ? Nous ne discuterons pas de ce problème, mais il semble clair que le prophète ne soit pas parvenu à éliminer le trop populaire dieu Mithra, car déjà au début de sa carrière le prêtre-poète rencontra une très forte opposition et il finit par être assassiné dans un temple…

Dans les livres sacrés de l’Inde antique les Védas, divisés comme l’Avesta en chapitres distincts, Mithra joue le role d’auxiliaire de la divinité céleste Varuna. Son personnage est intimement lié à la lumière et au soleil, qu’on appelle même : l’œil de Mtithra et de Varuna ». On pourrait dire que dans les Védas plus que dans l’Avesta, apparaît clairement le lien entre Mithra et le taureau qui deviendra plus tard le centre des mystères de Mithra.

C’est au professeur H.lommel que revient le mérite d’avoir collationné un certain nombre de textes védiques qui selon lui se rapportent à Mithra tuant le taureau.

Le point de départ de la thèse du prof. Lommel est le dieu de la Vie, Soma (à comparer avec le mot haoma). Ce dieu personnifie la pluie, qui provient de la lune. Il provoque la croissance des plantes et procure ainsi la nourriture aux humains et aux animaux. Chez les êtres de sexe masculin, les sucs végétaux sont transformés en semence, chez ceux du sexe féminin ils se transforment en lait. Au décès le principe vital retourne dans la lune et, quand celle-ci croît, Soma y afflue comme dans une coupe. Soma constitue alors le breuvage d’immortalité que les dieux boivent chaque mois. Dans ce mythe, Soma, en tant que pluie constitue à la fois la semence du taureau céleste qui féconde la terre, et le lait de la vache céleste qui nourrit l’univers.

Comme les dieux désirent avoir leur part du breuvage qui confère l’immortalité, ils concoivent le projet d’assassiner Soma. Le Dieu du vent vayu se prête à ces desseins et Mithra est lui aussi prié d’y participer : Les dieux dirent à Mithra (le dieu dont le nom signifie « ami » : Nous voulons tuer le roi Soma.

Il répondit : Moi je ne le désire point, car je suis l’ami de tous. Ils lui rétorquèrent : Nous voulons le tuer malgré tout. Mithra finit par participer à l’assassinat, à condition de recevoir une part du sacrifice, mais par ce fait, il risque de perdre tout son avoir en cheptel car les bovidés se détournent de lui en disant « Malgré qu’il soit ami (« mithra ») il a commis une chose horrible ».

Même Varuna participe à l’assassinat de Soma. La mise à mort se fait comme dans la liturgie ou l’on extrait le suc de la tige de la plante Soma en la broyant entre deux pierres. Soma confère l’énergie ; le breuvage est pris par les dieux, les prêtres et les participants au culte. Les hommes obtiennent par là l’immortalité, mais seulement après leur mort physique à laquelle les dieux ne sont pas soumis. Il est intéressant de comparer ces données extraites des Védas à celles de l’Avesta et plus particulièrement avec l’écrit du Bundahisn, dans lequel le taureau originel est tué et produit alors des plantes (v. p. 57). Plus tard, dans les mystères de Mithra, la divinité Soma-haoma aura disparu, mais le principe du renouveau de la vie resera lié à la mise à mort du taureau. C’est ainsi que sera conservé le lien entre le culte de Mit(h)ra en Inde et en Perse et celui de Mithra le tueur de taureau en Occident.

Cautopatés, Calcaire, fin IIe-début IIIe siècle, fouilles à Bordeaux, temple de Mithra. Compagnon de Mithra, Cautopatés est habillé à l’orientale avec un bonnet phrygien et une longue cape rouge.

Avec sa torche baissée, il symbolise le crépuscule, l’automne et la mort, pendant de Cautès qui symbolise, lui, le renouveau. Musée d’Aquitaine

ORIGINES

Zarathustra était un mage.

Le terme ‘Mage’ ne doit pas susciter dans l’esprit du lecteur l’idée de mystérieuses pratiques magiques dont certains, tel Pline, ont accusé tous les mages en général.

Le terme ‘Magu’ selon l’iranologue G.Messina S.J. définit celui qui participe aux « dons » (maga) c.à.d. à la doctrine religieuse d’Ahura-Mazda. Le terme « Magu » n’indique donc à l’origine qu’un adorateur d’Ahura-Mazda. Zoroastre est le premier mage, car c’est à lui que le seigneur de la sagesse a enseigné sa doctrine.

Dio Chrysotome (Or.36.40-41) rapporte que le prophète se serait entretenu avec Ahura-Mazda au sommet d’une montagne ardente et c’est là qu’Ahura-Mazda lui aurait confié son enseignement.

Zarathoustra était donc un prêtre et un aède devenu prophète et réformateur.

Graduellement le terme mage prit un sens moins restreint et emprunta la signification plus générale de prêtre, sans que ce terme implique pour cela que l’intéressé soit un Mazdéiste de stricte observance. Les mages étaient des sages et exerçaient une grande influence sur les dynasties perses. Généralement, ils furent les éducateurs des princes héritiers ; ceci fut exagéré par Cicéron (De Div.I.41-90) qui alla jusqu’à prétendre que chez les Perses nul ne pouvait accéder à la royauté sans avoir été au préalable éduqué par les mages… Selon Hérodote (I, 132) aucun sacrifice ne peut être accompli en dehors de la présence de mages et ce sont eux qui, lors du sacrifice, chantent la théogonie, c.à.d. l’origine des dieux…

Suite à l’expansion de l’Empire perse les mages sont entrés en contact avec les castes sacerdotales y résidant et surtout avec les Chaldéens. Un contact plus direct s’établit ainsi entre ces mages et la culture hellénique. Une tradition rapporte que c’est le mage Ostanès qui aurait répendu les doctrines perses en Grèce. On part de cette tradition pour établir un lien ente les mages et la philosophie grecque…

Ce sont ces « Mages hellénisés » d’Asie Mineure qui ont crée le culte à mystères de Mithra et qui ont fait du dieu universellement vénéré et populaire le centre d’un culte ésotérique. Les fêtes du dieu étaient connues de toute l’Asie Mineure. Des sacrifices solennels avaient lieu ; lors de ces Mithrakana ou Mihragân, le roi exécutait les danses sacrées et se livrait à des excès de boisson en l’honneur de la divinité ; c’est ce que nous rapporte Ctésias (vers 390 av. J.C)…

Nous verrons que, au Ier s. av. J.C., les pirates de Cicilie étaient initiés aux mystères de Mithra mais qu’il existait encore, à côté des sociétés secrètes, un culte public de mithra. Il semble donc que l’époque vers laquelle le culte se transforma en mystère doive se situer dans les deux derniers siècles précédant notre ère…

Sur les faces latérales de la niche rituelle (V.pl.p97) de ce Mithréum de Doura-Europos deux mages sont représentés dans le costume qui leur est propre. Ils siègent solennellement sur un trône, vêtus d’un costume composé d’un manteau, d’un pantalon et d’un bonnet phrygien. Un des mages tient dans la main droite un sceptre en bois et dans la main gauche un livre. Il regarde devant lui avec sévérité ; il est le sage qui enseigne les secrets des mystères. Un certain Hégémonius (av. l’an 350 apr. J.C) décrit le prophète et mage Mani (216_276 apr. J.-C.) : « il portait un manteau bleuâtre, multicolore ; à la main il avait une solide canne débène, sous le bras gauche il serrait un livre babylonien. Le costume de Mani, se rapproche de celui des prêtres de Mithra.

Dans le Mithréum de Sainte-Prisque à Rome, le Père, chef de la communauté, est assis sur un trône comme un sage. Il est revêtu d’un habit rouge tel celui de Mithra et coiffé d’un bonnet phrygien rouge. À la main droite il porte une bague.

Une mosaïque d’Ostie représente le sceptre, le bonnet et l’anneau magistral comme attributs du Père. (V.P.126)…

À un moment donné ces mages entreront en territoire romain. En 66 apr. J-C., tiridate I, élu roi d’Arménie, décide de se faire couronner par Néron ; il traversa la Thrace, l’Illyrie et le Picenum, à pied sec, car en sa qualité de mage, il ne désire point souiller l’élément eau. Il arriva à Naples après un voyage triomphal de neuf mois, pour se diriger ensuite sur Rome ; son entrée dans cette ville fut pour les Romains un spectacle merveilleux de faste oriental. Tiridate était escorté de trois mille cavaliers parthes et sa suite comptait des mages (Magos secum adduxerat).

Durant la cérominie du couronnement, il s’adresse à Néron (Dio Cassius LXIII, I, 7 ; Suétone, Nero, 13, 30, Pline, Nat. Hist., XXX, I, 6) dans ces termes : « Je suis souverain, descendant d’Arsakos, des rois Vologeses et Pakoros, son frère, mais je suis votre esclave (v. p. 146) et je suis venu à Vous, O dieu, pour vous adorer comme Mithra… »

Sur ces mots Néron ôte la tiare de la tête de Tiridate et le coiffe du diadème.

Fr. Cumont rattache cette investiture au culte de Mithra, auquel Tiridate voulait initier Néron. C’est à cette cérémonie que Pline fait allusion quand il dit : « Il l’a initié à la cène magique (magicisque cenis initiaverat) et cette cérémonie serait donc le repas rituel dédié à Mithra. » (v. p. 81)

Si tel fut le cas, Néron aurait été le premier empereur à entrer en contact avec le culte de Mithra… Quoi qu’il en soit, il est établi qu’une dizaine d’années plus tard le culte de Mithra avait acquis droit de cité à Rome (v. p. 25).

Le christianisme lui aussi fait à cette époque ses premiers pas à Rome. Il apportait la doctrine nouvelle de Jésus, le Sauveur et le Messie longtemps attendu, qui descendit sur la terre et prit forme humaine. À sa naissance, des mages guidés par une étoile sont arrivés à Bethléem où ils L’ont adoré et Lui ont offert l’or, l’encens et la myrrhe (Matthieu (II,11) G. Messina e.a. out démontré que les juifs ont pris Zoroastre en considération et l’on même tenu pour l’égal d’Ezéchiel, ou le disciple d’Elie. Les Mages à leur tour se sont intéressés à la religion juive. Les chrétiens sachant fort bien que Zoroastre n’était pas juif, le tenaient pour le prophète dont Dieu se serait servi pour annoncer le Messie.

Ceci explique qu’une version arabe du Récit Évangélique dise : « Voyez, les mages vinrent d’Orient à Jérusalem, comme l’avait prédit Zoroastre ». S’il faut en croire les auteurs chrétiens, le Messie en question est évidemment Jésus. Mais d’après l’Avesta persane il s’agit de Saushyant, qui après plusieurs millénaires, à la fin des temps apparaîtra et fera triompher la vérité et la Bonté sur les forces obscures. Il est le Sauveur victorieux qui rendra l’existence brillante quand les morts resusciteront et que les vivants atteindront l’immortalité (Zamyad, yasht, 19, 89). D’après un autre chant de l’Avesta, le bahman yasht (III, 31), Mithra est le principal adversaire des forces du Mal ; Peshotanu détruira les impies et Ahura-Mazda ordonnera à ses auxiliaires de lui porter assistance à cette fin ; c’est Mithra qui est à la tête des troupes ; c’est l’avènement du nouveau règne du dieu solaire, t, dit le Bundahisn (XXX, 25) : « quand les morts seront ressuscités, le Saushyant tuera un taureau et de sa graisse mêlée à l’haoma, il fera un breuvage d’immortalité pour les hommes ».

Dans les mystères d’Occident ce sauveur n’était autre que Mithra, le dieu-Soleil. C’est pour cela qu’une inscription latine de Rome dir : « Salut au Saushyant (nama Sebesio) ».

Il ne faut donc point s’étonner de ce que les chrétiens, après avoir vu longtemps dans le messianisme des mages une confirmation du leur et après avoir cru que les mages adoraient leur Sauveur, finirent après quelques siècles, par considérer Mithra comme un antéchrist.

« Mithra ce dieu mystérieux », le livre Sequoia, Martin Vermaseren p. 16 à 22