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DE LA LYRE D'HERMÈS

Remarquez qu’Hermès crée sa lyre avec une carapace de tortue, que selon la légende l’écrit du Fleuve Lo (le carré magique d’ordre 3) s’inscrivait naturellement sur les carapaces des tortues de ce fleuve.

« Ce qu’il y a de remarquable, c’est que le symbolisme de la lune, maître des Constellations et des sphères immortelles, soit évoqué par le nom même du pays qui accueille la naissance d’Hermès, l’Arcadie.

L’Arcadie est le pays de l’Ours, en souvenir de l’ancêtre mythique, le roi Arkas, fils de Zeus et de la nymphe Kallistô (la très belle), époux de la nymphe Eratô (la très désirable). Son divin père changea sa mère et lui en ours (arkos) et les éleva au ciel pour les soustraire soit à la colère d’Artémis qui ne tolérait pas que ses compagnes- dont était Kallistô- trahissent leur vœu de virginité, soit à la jalousie d’Hêra qui réussit cependant à se venger en interdisant à Océan de les recevoir. « C’est pourquoi ces constellations tournent autour de l’étoile Polaire sans jamais descendre sous l’horizon. »

Un symbolisme complexe s’élabore autour de l’ours et de son antre, la caverne…

La caverne conduit au ventre, le ventre de la Terre-mère. Ventre-estomac comme lieu de transformation, ventre-intestins comme lieu d’assimilation. Mais aussi ventre-matrice comme lieu de génération –et par conséquent de ré-génération.

Quelle est donc la condition primordiale, essentielle, pour qu’une génération quelconque puisse être manifestée ?

Nous répondrons pour vous : l’absence totale de toute lumière solaire, même diffuse ou tamisée…

Il n’est pas jusqu’au travail de la digestion, de l’assimilation de la transformation des aliments en sang et en substance organique, qui ne s’accomplisse dans l’obscurité… Et ne croyez pas qu’il faille limiter aux seuls règnes organiques les effets d’une loi fondamentale dans la nature créée. Les minéraux mêmes, malgré leur réaction moins visible, y sont soumis comme les animaux et les végétaux. (Fulcanelli, Le mystère des Cathédrales, p172-173)

 La caverne est donc symbole des origines, l’ours qui y hiberne représente celles de l’homme, il est l’ancêtre commun des hommes. « Comme la caverne est son antre, il a un rôle d’initiateur, il sait tout, voit tout, entend tout. » Et parce qu’il sait tout, il a valeur de protecteur. L’ourson en peluche de notre enfance, objet transférentiel, n’est-il pas le souvenir lointain de la puissante protection que l’ours était censé apporter ? (…)

Comme l’ours, la tortue hiberne. D’où le symbolisme à la fois chtonien et lunaire de ces animaux.

La longévité bien connue de la tortue a conduit à lui associer l’idée d’immortalité, « qui va de pair avec la fertilité des eaux premières, régie par la lune, pour donner les traits de la tortue à de nombreux démiurges, héros civilisateurs et ancêtres mythiques ».

LE NORD SANS BOUSSOLE

L’Arc a dit

Arcadie#pole#nord#ours#

Bergers d’Arcadie II, Nicolas Poussin

Bergers d’Arcadie II, Détails

Bergers d’Arcadie I, Détails

Bergers d’Arcadie I, Poussin

Lyre

Par sa carapace, la tortue est une représentation de la caverne, elle-même image en réduction du monde, plate au-dessous comme le plancher de la caverne, comme la terre, et ronde sur le dessus comme le dôme, comme la voûte du ciel.

Plus encore : la carapace de tortue est un test osseux, c’est à dire une enveloppe osseuse, ce qui l’apparente à un autre test osseux, le crâne. On notera d’ailleurs que « test » et « tête » sont issus du latin testa qui a, entre autres significations, celles de « vase, coupe » et de « crâne ». Aussi, par sa forme et sa structure osseuse, la carapace est-elle l’homologue du crâne. Les anciens Égyptiens désignaient les différents os du crâne d’un terme signifiant littéralement « écaille ».

Quant à la grande fontanelle, c’était pour eux la couronne de la tête. Si la carapace est l’homologue du crâne, le crâne est, lui, l’homologue de la caverne : « Sa partie supérieure, arrondie et courbée régulièrement est la voûte. Sa partie inférieure, plate et irrégulière, est la base. »

On le voit, caverne, ours, tortue, carapace, crâne, tête, couronne et ciel sont étroitement liés. D’une symbolique simple remontant à la préhistoire, on passe à un symbolisme complexe qui signifie, en fin de compte, les relations entre la Terre et le Ciel dont l’Homme est le médiateur.

Nous commençons maintenant à mieux discerner ce que fait Hermès de la tortue, avec sa carapace :

Et prenant la tortue à deux mains, il revint dans l’antre avec son aimable jouet. Là retournant la bête, il lui arracha la moelle de la vie en taillant la carapace au moyen d’un ciseau de fer.

L’opération ressemble à s’y méprendre à une trépanation qui ne serait pas ici un geste chirurgical, mais un geste rituel rappelant celui des prêtres embaumeurs égyptiens qui, à l’aide d’un crochet de fer introduit par les narines, vidaient la tête de son précieux contenu. Pour permettre au crâne de vibrer au diapason des énergies d’en-haut ?

À l’évidence, l’opération est symbolique.

Qui n’a pas fait l’expérience d’un état extatique dans lequel toute conscience est abolie, ne serait-ce que brièvement, à l’acmé de l’étreinte amoureuse ?

L’orgasme n’est-il pas qualifié de « petite mort » ?

Mais revenons à notre tortue.

Le sens du rapprochement de la carapace et du crâne prend encore une autre dimension quand on sait que la tortue a été un emblème d’insensibilité en raison de sa carapace comparée à un bouclier. En la transformant en caisse de résonance, Hermès en a fait, au contraire, un emblème de sensibilité. La tortue-ancêtre doit mourir pour renaître à une vie nouvelle :

Puis, ayant construit l’aimable jouet, il fit résonner chaque note à l’aide du plektre ; et la tortue, sous sa main, résonna, sonore ; et le Dieu, excité par son œuvre, chanta admirablement.

(Hymne à Hermès, trad. Leconte de Lisle, p21.)

Extrait de « Hermès, Lumière des hommes » par Hubert Dufresne au Mercure Daupninois, p77 à 80

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